ROBE AUX NARCISSES
Dans la cour impériale de la fin de la dynastie Qing (1644-1911), parmi la variété de vêtements, la robe de forme Chen Yi était sans aucun doute le type de vêtement que les concubines portaient le plus fréquemment au quotidien. Sa forme comprenait un col rond à boutonnage droit et une coupe droite, sans fente sur les côtés, suivant principalement les éléments traditionnels des vêtements Manchous. En même temps, elle intégrait la coupe ample et les manches larges des vêtements Han, rendant ainsi le port plus confortable et l’apparence plus somptueuse.


La robe Chen Yi, à l’origine, désignait une sous-robe à manches courtes portée sous les vêtements de cérémonie, qui est apparue pour la première fois pendant la période Daoguang (1821-1850). Au début, les robes Chen Yi étaient généralement fabriquées à partir de tissus de vêtements de convenance, et avec l’amélioration progressive du mode de vie de la cour de la dynastie Qing et l’assouplissement des règles vestimentaires de la cour, les robes Chen Yi sont progressivement devenues la tenue quotidienne principale des concubines.
D’après les documents de la cour, pendant les périodes Tongzhi (1862-1874) et Guangxu (1875-1908), la quantité de robes Chen Yi utilisées a dépassé celle des robes Chang Yi, et tout comme les vêtements de cérémonie, elles ont d’abord été dessinées en petits échantillons par le bureau de la peinture de la cour, puis envoyées aux trois bureaux de tissage de Nanjing, Suzhou et Hangzhou pour être fabriquées selon les échantillons. Dans les vieilles photos du palais de la dynastie Qing, l’impératrice douairière Cixi (1835-1908) portait le plus souvent ce genre de robes.
Cette robe Chen Yi en soie mauve tissée aux fils dorés et polychrome (Kesi) qui est mise aux enchères dans notre vente, est une œuvre représentative rare des robes de la cour de la dynastie Qing. Parmi tous les textiles tissés, la soie Kesi est la plus précieuse, connue sous le proverbe : « un pouce de Kesi vaut un pouce d’or ».
Cette robe est décorée de narcisses et de motifs de caractères de longévité ronds, les tiges et les feuilles des narcisses sont présentées dans une palette de couleurs « trois bleus » (san lan). Le terme « trois bleus » fait référence à une combinaison de différentes nuances de fils de soie bleue, dont le nombre n’est pas nécessairement limité à trois, et peut parfois atteindre plus d’une dizaine. Le tissage et la broderie en « trois bleus » sont courants dans les vêtements Han de la dynastie Qing, et reflètent l’esthétique raffinée et élégante de la porcelaine bleue et blanche dans les vêtements.
Cette robe est tissée de tiges et de feuilles de narcisses en couleur de « trois bleus », avec des pétales blancs, des bulbes jaune clair et des étamines jaune d’œuf, ce qui représente parfaitement la beauté glaciale et délicate de la « fée du narcisse qui émerge des vagues ». Des motifs de longévité en bleu foncé sont parsemés entre les fleurs et les feuilles, ce qui rend la disposition globale plus solennelle et majestueuse, et qui porte également une signification auspicieuse de « nombreux immortels souhaitant une longue vie ».
Dans les vêtements des concubines de la fin de la dynastie Qing, la coordination entre les motifs principaux et les bordures des robes est très importante. En général, la bordure la plus large est de la même matière que la robe et le motif est également coordonné avec le thème principal de la robe, mais le motif est légèrement plus petit et la couleur de fond légèrement plus foncée. De chaque côté de cette bordure large, plusieurs bordures plus étroites sont ajoutées, ce qui met en valeur le thème des motifs de la tenue et crée un dégradé doux et clair. Cette robe Chen Yi dans notre vente porte un décor chargé de trois bordures sur le col, la patte de boutonnage et les manches : une bordure en soie bleu nuit tissée aux fils dorés de motifs de caractères de longévité, une large bordure en soie Kesi avec des motifs de narcisses et de longévité en trois bleus, et une bordure en satin doré avec des motifs de narcisses en trois bleus. Les trois bordures sont parfaitement coordonnées avec les motifs principaux de la robe, créant une beauté harmonieuse.
Particulièrement remarquable, la couleur de fond de cette robe est le « bleu neige » qui est une couleur très caractéristique des vêtements de la fin de la dynastie Qing. Le « bleu neige » est une couleur mauve clair, nommée d’après la lumière bleu-violet à haute fréquence réfléchie par la neige sous l’éclairage du soleil. Avant la période Tongzhi, les vêtements de couleur « bleu neige » étaient peu courants dans la cour de la dynastie Qing, mais après le règne de l’impératrice douairière Cixi, les vêtements de cette couleur sont devenus courants, probablement pour répondre aux préférences personnelles de Cixi.
Cette robe est ornée d’un bouton rond en cuivre plaqué or avec des fleurs gravées et de cinq boutons en forme de pièce de monnaie en cuivre plaqué or avec le caractère longévité. C’est également une caractéristique typique des vêtements des concubines de la cour de la fin de la dynastie Qing. Comme pour les autres vêtements, la doublure de la robe Chen Yi est généralement en soie de couleur unie pour un confort optimal, et la doublure de cette robe est également de couleur bleue.
Après avoir consulté les documents historiques, on constate que cette robe est presque identique à celle portée par l’impératrice Cixi dans le portrait à l’huile réalisé par l’artiste américaine Katharine A. Carl (1865-1938) (photo No.1).

Ce tableau a été achevé en 1904, il mesure 297,2 cm de haut et 173,4 cm de large, et est encadré d’un cadre en bois sculpté de caractères de longévité et d’un socle sculpté de nuages et de dragons, pour une hauteur totale de plus de 5 mètres, ce qui est impressionnant. Il s’agit du premier portrait à l’huile de Cixi elle-même et du plus grand portrait d’elle existant à ce jour. Après l’achèvement de l’œuvre, Cixi a ordonné que ce « portrait sacré » soit envoyé à l’Exposition universelle de Saint-Louis aux États-Unis pour y être exposé, où il a suscité une énorme sensation (photo 2).

C’était la première fois que le monde voyait le visage du plus haut dirigeant de la dynastie Qing, et c’était également un effort diplomatique de la part de Cixi pour améliorer son image internationale après la Révolte des Boxers. Après la fin de l’Exposition universelle, qui a duré sept mois, le portrait a été offert au président américain Theodore Roosevelt par l’ambassadeur de Chine aux États-Unis, Liang Cheng, au nom de la cour de Qing. Une cérémonie de donation a été organisée à la Maison Blanche, après quoi le président l’a transmis au Smithsonian American Art Museum.
Le pinceau délicat de Mme Carl a fidèlement reproduit les détails des vêtements de l’impératrice douairière Cixi, et en comparant le portrait, nous avons été agréablement surpris de constater que, à l’exception de la couleur de fond différente, la robe de notre vente est presque identique à celle du portrait : la posture des fleurs de narcisses, la disposition des motifs de caractères de longévité ronds, et même les motifs décoratifs des trois bordures du col, de la patte de boutonnage et les manches sont exactement les mêmes.
En examinant la collection du musée du Palais impérial, on constate qu’il existe également une robe Chen Yi en soie Ke si avec des mêmes motifs en couleur de fond bleue (photo 3). On peut donc en déduire que le bureau de tissage de Suzhou a fabriqué des robes de différentes couleurs de fond selon le même échantillon peint par le bureau de peinture de la cour, pour que l’impératrice douairière Cixi puisse choisir.

Selon les mémoires de Yu Der Ling (1881-1944), la première dame de compagnie et l’interprète de l’impératrice douairière Cixi, intitulées Deux ans dans la Cité Interdite, Cixi n’aimait pas la couleur jaune, mais lorsqu’elle a rencontré pour la première fois Mlle Carl et lui a demandé de faire un petit portrait d’elle (aussi appelé « essai », généralement utilisé pour évaluer les compétences d’un artiste), elle n’a pas hésité à revêtir une robe jaune, parce que sur le portrait du monarque, « le jaune est le plus approprié ».
En examinant les photographies existantes de l’impératrice douairière Cixi, on trouve une photo où elle porte une robe ornée de motifs de narcisses, assise sur un trône devant un paravent de paon (photo 4). Ses vêtements, ses accessoires pour cheveux et ses bijoux sont tous identiques à ceux du portrait peint par Katharine Carl. Cela confirme également les mémoires de Yu Roung Ling (1889-1973), la sœur cadette de Yu Der Ling et aussi une dame de compagnie de Cixi, qui a écrit : « Cixi a dit : « Demain, je vais le faire venir (en parlant de Yu Shuin Ling (1874-1944), le frère ainé de Yu Roung Ling et Yu Der Ling) pour me prendre en photo, afin que Mlle Carl puisse peindre mon portrait à partir de cela. » On sait donc qu’en 1903, Cixi a pris une photo dans une robe jaune ornée de motifs de narcisses, et cette photo est devenue une référence importante pour le portrait de Cixi peint par Mlle Carl.
En résumé, la robe de notre vente est un précieux artefact provenant de l’ancienne collection du palais de la dynastie Qing. Elle ne représente pas seulement le plus haut niveau de savoir-faire et d’esthétique des vêtements de la fin de la dynastie Qing, mais elle possède également une valeur historique unique en raison du célèbre portrait de l’impératrice douairière Cixi.
La coupe ample et les manches larges de la robe Chen Yi s’éloigne sans aucun doute du principe des vêtements traditionnels mandchous, qui sont ajustés et à manches étroites pour faciliter l’équitation et le tir à l’arc. L’apparition et la popularisation de la robe Chen Yi reflètent la fusion de la culture mandchoue et han à la fin de la dynastie Qing.
Cependant, à la fin de la dynastie Qing, sous l’influence du style vestimentaire occidental, la robe Chen Yi (y compris les vêtements similaires comme la robe Chang Yi) a commencé à rechercher un effet plus ajusté, comme en témoignent les lots 326, 336 et 403 de cette vente. Par la suite, la robe Chen Yi a évolué pour devenir la robe Qi Pao, qui a eu une influence profonde sur les générations futures.